Picasso et Madoura


En juillet 1946, lors d’un séjour à Golfe Juan chez son ami l’imprimeur Louis Fort, Picasso visite à Vallauris l’exposition annuelle des potiers. En compagnie du sculpteur et photographe Michel Sima, selon le récit des souvenirs de Françoise Gillot la compagne d’alors, Picasso s’intéresse particulièrement aux pièces produites par l’atelier Madoura (Ma pour maison, Dou pour Douly du nom de jeune fille de Suzanne Ramié, Ra pour Ramié).
Picasso est invité par Suzanne et Georges à leur atelier ; Picasso, sur les conseils de Suzanne modèle dans la glaise trois sujets (taureaux et faune) ; un an après, de retour à l’atelier Picasso s’y installe, ses cartons remplis de dessins. Ainsi débute pour Picasso une nouvelle aventure artistique et son engouement pour la céramique. Jusque là confinée au statut d’art décoratif, la céramique grâce au génie créatif de Picasso va acquérir ses lettres de noblesse et Picasso en bouleversera le langage artistique de la deuxième moitié du XXème siècle, le détournement d’objets utilitaires se réinventant objet d’art.
Son influence entre 1950 et 1970 impactera l’œuvre céramique de Miquel Barcelo ou de Lucio Fontana.

Francesco Durrio de Madron dit Paco Durrio, sculpteur espagnol rencontré au Bateau-Lavoir, lui a fait découvrir dés les années 1900 le travail de la céramique. Paco Durrio, 
 l’ami de Gauguin a aussi influencé celui- ci pour son œuvre de la céramique. 

On estime entre 25 000 et 30 000 le nombre de pièces façonnées, ou décorées par Picasso entre 1947 et 1971, sur de multiples supports : plats, gourdes, tessons, tomettes,    briques,  bouteilles ; supports produits par l’atelier Madoura ou déformés et transformés par Picasso. Seul 3500 pièces en terre sont recensées, éditées en tirages limités. Pièces reproduites entre 5 et 500 exemplaires à partir d’une œuvre originale de Picasso et sur sa demande afin d’être accessible au plus grand nombre.
Madoura conservera l’exclusivité de la production, en effet en 1967 Picasso fait entière remise de ses droits d’auteur au profit des ateliers Madoura de Vallauris pour les éditions céramiques. La production étant assurée soit par la technique dite « répliques
authentiques » la pièce fabriquée et peinte par un artisan reproduit à l’identique le sujet,  ou bien, le sujet  est gravée sur une matrice en plâtre et transféré par estampage sur la céramique fraiche dite  : «  Empreinte originale de Picasso ». Ces deux procédés sont nommés « Editions céramique de Picasso ».
La maison Madoura fermera en 2007. 

La plus originale invention de Picasso est la « Pate blanche » : céramique non émaillée décorée d’éléments en relief : «  trois personnages sur tremplin », « visage », « visage aux yeux ronds », « femme échevelée » « joie de vivre », « dormeur », « joueur de diaule et faune », « joueurs de flute et cavaliers », « jacqueline au chevalet », « horloge à la langue »… 
Picasso éditera des pièces de faïences rouges, le décor gravé ou poinçonné en creux ou en relief dans la matière : « carré à la danseuse », « visage de femme », « figure au triangle » ….

L’inspiration de Picasso puise aux sources de l’art de la poterie de Chypre, de l’antiquité grecque, aux origines espagnoles avec l’influence hispano-mauresque du grand centre de poteries de Malaga, ville natale de Picasso.
Chypre : pour ses dessins d’oiseaux, de chèvres ou de taureaux stylisés « hibou blanc sur fond rouge », « vase aux chèvres », « tête de chèvres de profil », « taureau », « taureau, marli aux feuilles », ses décors dits à sgraffite : « trois poissons sur fond gris »
La Grèce antique : sujets mythologiques, peintures à figures noires, aplats, styles entièrement linéaires, pas de modelé ni d’ombres, silhouettes sans volume : « personnages » sur coupe ronde, ou technique dite à figures rouges : « grand vase aux danseurs », « personnages et têtes ».
Son Espagne natale : multiples scènes de tauromachie chères à Picasso, le contour de l’assiette ronde devenant arène, motifs naïfs « service fruits de Provence », décor bleu et blanc ou vert et manganèse :« quatre profils enlacés ». Couleurs typiques inspirés des azuléjos pour la décoration d’assiettes.
Inspiration sud américaine « Vase aztèque aux quatre visages ».
L’attrait pour des pièces insolites et l’imagination de Picasso vont métamorphoser des pots ou des lampes en silhouette féminine, des pichets en oiseaux : vase « chouette », ou en poissons.

Dès 1948, une première grande exposition des céramiques de Picasso est organisée à la Maison de la Pensée Française à Paris ; de très nombreuses autres suivront. Longtemps l’œuvre picturale de Picasso a supplanté sa grande production des céramiques Madoura  mais actuellement sa plus grande visibilité sur le marché de l’art tend à la rendre plus attractive pour des collectionneurs de plus en plus nombreux.

 

Expertiser vos objets